Cet homme là, s’aimait beaucoup. Et comme il était fortuné, pour se contempler à son aise, il avait fait dans son palais tapisser sa chambre secrète, jusque sous le lit, de miroirs. Il s’y enfermait tous les soir, s’y faisait des mines royales et s’admirait, face et profil, et souriait à son image. Il s’estimait beau comme tout et s’en trouvait tout ragaillardi.
Un matin, il quitta les lieux en laissant la porte entrouverte. Son chien entra, vit d’autres chiens. Il aboya. Ils aboyèrent. Furieux, il se rua sur eux. Le combat fut épouvantable. Les batailles contre soi-même sont les plus féroces qui soient. Le chien mourut, exténué. Son maître en fut si désolé, qu’il ordonna, la voix brisée, de murer cette maudite porte. Or un derviche, par hasard, (les contes font des miracles) , passait ce jour là par chez lui.
-Ce lieu peut beaucoup vous apprendre, lui dit-il. Laissez-le ouvert.
-Comment cela? demanda l’homme
-Le monde est comme vos miroirs. Il est neutre. Il renvoie, fidèle, l’image que nous leur offrons. Soyez content, le monde l’est. Soyez anxieux, il l’est aussi. Dans chaque être, dans chaque instant, insoupçonnable ou bien heureux, nous ne voyons rien du dehors. Nous ne voyons que notre image. Allez consulter vos miroirs et comprenez ce qu’ils vous disent. Alors toute peur, tout refus tout combat s’en iront de vous. (Source : Henri Gougaud, Renaître par les contes)