On peut aimer une amie comme une sœur, mais on peut aussi se détesté comme des frères ennemis.
Nous pouvons considérer que tout commence par un sentiment de trahison, qui s’il se calme pendant de nombreuses années, risque de resurgir violemment au moment des héritages et de se transformer en actes tangibles de félonie et de reniement. Le lien fraternel, comme tous les autres n’est pas épargner par la traitrise.
« Liberté, égalité fraternité », Le chemin qui mène à la fraternité est bien difficile et semé d’embuches dans la vraie vie. Il ne suffit pas de naître frère et sœur pour s’entendre et s’aimer. D’ailleurs, est-ce obligatoire d’aimer son frère ou sa sœur ? la question reste ouverte !
On peut avoir la chance de vivre la fraternité dans certaines sphères, amicales, associatives, sportives, approches spirituelles, il ne suffit pas naître sous le même toit pour y parvenir.
La caractéristique d’une fratrie, c’est sa longévité. Peut-on en faire un atout plutôt qu’un handicap ?
Dans une famille le lien fraternel ne cesse de se transformer. C’est le lien censé durer le plus longtemps, de notre naissance à notre mort, sauf perte prématurée d’un des membres de la fratrie, il nous accompagne toute notre vie. De ce fait il est soumis à de nombreux aléas qui le transforme dans un sens ou dans l’autre. On peut avoir été jaloux enfants et bien s’entendre à un âge plus avancé ou l’inverse. La plasticité de cette relation évolue sans cesse. Comment l’amener au plus proche d’une fraternité en acte ?
Cette relation est placée d’emblée sous le signe des comptes et des mécontentements (comme dans le couple). Lees moments de complicité n’empêcheront pas les enfants de comparer ce que chacun à, d’évaluer, de jauger qui est le plus fort, le plus beau, le plus malin. Enfant les comptes ne sont pas forcement sanglants ou dramatiques, mais ils se situent spontanément dans le registre du donnant-donnant ou du œil pour œil, dent pour dent. (je veux comme lui ou elle, il m’a frappé je lui ai fait pareil). Ces règlements de comptes apparaissent comme le moyen le plus immédiat de faire « justice », en lieu et place de toute équité. Par peur d’avoir moins que l’autre, on cherche à avoir plus.
Même quand les comptes semblent apaisés, ils restent gravés dans la mémoire des frères et des sœurs devenus adultes. Bien au chaud dans une calculette inconsciente. Comme une cocotte minute qui mijote pendant des années les ressentiments, les amertumes accumulés. Tout peut exploser à différents moments, notamment quand les parents comment à vieillir et devenir dépendant et plus encore au moment de leurs disparition. Une des caractéristiques du lien fraternel, les souffrances qui y sont attachés perdurent presque à l’identique pendant très longtemps.
En réalité, les comptes sont intrinsèquement liés à la création de la fratrie, parce que celle-ci se constitue à partir d’un vécu de pertes ou le manques.
Imaginons ce que vie l’aîné à l’arrivé d’un second enfant ? Il était au centre, le point de convergence des regards des parents et des grands parents. Il était l’objet d’un amour inconditionnel, de toutes les attentions exclusives. Avec l’arrivé du cadet, les regards se détournent, les soins se repartissent désormais de manière inégale, puisque qu’un bébé à la fâcheuse habitude de manger toute les trois heures dans les bras nourriciers et que l’aîné doit se comporter comme un grand. Quand on connaît l’importance du regard parental dans la construction d’un enfant, on mesure à quel point l’aîné perd, à ce moment-là, un étayage important. L’arrivée du bébé entraine un profond sentiment de perte, perte affective, une menace existentielle « vais-je continuer à exister, à être important pour mes parents. Cela éveille une angoisse existentielle, sourde et muette aux yeux des plus grands, la peur de compter pour zéro, d’autant plus quand la naissance du cadet vient avant que l’aîné ait pu intégrer suffisamment d’assurance. L’aîné éprouve une perte narcissique (ce bébé, on ne pourrait pas le renvoyer d’où il vient, je suis jaloux, je ne l’aime pas, c’était tellement mieux sans lui, moi si gentil avant, je deviens hargneux, taciturne, méchant, violent ou alors je me rend malade pour capter l’attention) voici quelques éléments de tempête qui agite l’aîné sans qu’il puisse bien évidemment la décrire de cette manière et d’y mettre les mots justes, il ressent seulement comme un brouhaha intérieur qu’il n’arrive pas à identifier mais qui le perturbe. Alors, sa première réaction sera pour se rassurer et se consoler de garder ses prérogatives sur ses jouets, sa chambre. En ne cédant rien, en ne prêtant pas, il défend son territoire, seul point d’ancrage qui lui parait stable dans cet ouragan. Mais cette position défensive, n’est ni confortable ni constructive.
Quelle épreuve de trahison, comment supporter que ces chers parents et grands parents soient remplis de joie devant cette chose si petite qu’ils portent avec soin dans leurs bras, qui pleure sans arrêt, ne fait que manger, dormir et qui n’est même pas capable de jouer, de parler ? Ils ont beau me dire et me répéter qu’ils m’aimeront toujours, sont-ils dignes de confiance ?
Bien sur, la constitution d’une famille n’est en rien un acte de trahison. Mais on voit bien ici la puissance du vécu, du ressenti. L’enfant se sent trahi parce que laissé pour compte, quelque peu abandonné, et ce sentiment de trahison à des effets durables, potentiellement ravageurs aussi bien pour son évolution que pour la qualité du lien fraternel. S’il n’arrive pas a se sentir rassuré, petit à petit il finira par se convaincre qu’il y a bel et bien trahison, que ses parents ne l’ont pas aimé, qu’ils ne le comprennent pas. Inévitablement, l’enfant ressent l’écart qui l’éloigne et le différencie de son père et de sa mère, pour la naissance du cadet est un heureux évènement, alors que pour lui cela s’annonce comme une catastrophe. Le sentiment de trahison se nourrit de cette différence de vécus, deux expériences opposées d’un même évènement.
Le problème, c’est l’engrenage dans lequel l’enfant risque de se placer. Un processus psychique peut se mettre en place qui se retourne contre l’enfant et l’amène à se trahir lui-même. Certain peuvent se rendre insupportables ce qui leur semble être une manière de retrouver une place, d’exister aux yeux des parents. Mieux vaut mal que pas du tout ! D’autres se sentent tellement coupable de ne pas aimer leur frère ou leur sœur, de lui vouloir du mal, qu’ils peuvent chercher à se faire punir parce qu’inconsciemment ils estiment le mériter. Certains échecs scolaires sont la conséquence de ce malaise douloureux. Un manque de concentration entrave l’apprentissage. Pour cause, une partie de l’esprit du petit élève est encore à la maison, collée au souvenir de sa mère, cette ingrate qui serre si fort l’intrus contre elle comme si elle ne voulait pas se séparer de lui. Il se trahit en se mettant dans des postures difficiles pour lui qui ne font que renforcer son malaise. Il est donc important de repérer cet enchainement et d’y remédier en rassurant l’enfant. Bien sur les parents ont un rôle important à jouer mais tout ne dépend pas d’eux. Leur cher enfant peut s’en sortir et trouver un équilibre si on l’aide à développer une vie amicale, à s’impliquer dans des activités extrascolaires, toutes choses qui construisent une belle image de lui. Pla l’enfant trouvera sa place à l’extérieur de sa famille, plus ce sentiment de trahison s’atténuera et le lien fraternel pourra se vivre sur un versant positif.
Si nous parlions du vécu du cadet ?
il n’est pas en reste ; Il va devoir se construire sur des expériences de manques. Avoir toujours devant soi cette statue quasi indéboulonnables du grand, qui décidément sait faire lus de chose, qui est en avance, qui à connu l’amour exclusif des parents et ne se gêne pas pour claironner tout haut et fort , ce n’est pas facile du tout. Au cadet, il manquera toujours quelques années de moins. Il risque de se construire sur une faille narcissique face à un aîné montré en exemple. Il y a de quoi se sentir nul. Il aura beau faire, être bientôt le meilleur sur tout les plans, il restera toujours « le petit » ; Grandir dans l’ombre de l’aîné peut l’amener à se trahir lui-même. Pour se faire accepter par le grand admiré et pas toujours admirable, il risque de se soumettre à ses demandes, de se laisser instrumentaliser pour être adoubé par lui. Lorsque, après les brimades, les humiliations, sonnera l’heure de la révolte, elle pourra être sanglante. En attendant, pour exister, il faudra qu’il gagne de terrain. Il devra faire sa place auprès d’un frère ou dune sœur qui lui fait si bien sentir qu’il est de trop, qu’il est même indésirable. L’enjeu pour le cadet, c’est de dépasser la culpabilité d’exister. Il s’agit de ne pas trahir son droit à l’existence et sa dignité.
L’équation du lien fraternel impose un problème existentiel différent pour l’ainé et pour le cadet. Le premier doit faire une place pour l’autre. Le cadet doit imposer la sienne, parvenir à faire le poids face à l’aîné, sinon il sera victime de son propre échec. L’un doit accepter d’avoir moins, l’autre doit apprendre à être, à exister, à prendre de la consistance, en un mot s’imposer. L’un doit posséder moins, l’autre doit acquérir plus, il y va de leur vie. L’un doit céder son exclusivité, l’autre doit conquérir.
L’aventure fraternelle participe à la construction de l’identité. Comme les amis, les frères et sœurs influencent très activement la structure identitaire dès l’enfance et cela se rejoue à l’adolescence.
Le frère, la sœur, c’est celui ou celle avec qui on grandit, inévitablement on se ressemble. C’est un miroir pour nous qui nous renvoie à la fois à nos failles, nos fragilités. Il est à la fois le reflet et l’écho de ce que nous ne supportons pas en nous et ce que nous ne parvenons pas à être. Quand nous l’attaquons, nous agressons en fait tout ce que nous n’aimons pas en nous. Pactiser avec son frère, sa sœur, c’est ni plus ni oins pactiser avec soi-même. Se réconcilier avec lui, c’est se réconcilier avec soi. Accepter son frère, sa sœur aide à ne pas se renier soi-même ; Et quand l’aventure évolue bien, quel bonheur de s’entendre avec ses frères et sœurs !
(Texte inspiré des travaux de N. Prieur Directrice du conseil scientifique du Ceccof, centre d’études cliniques des communications familiales)