« Je n’ai pas confiance en moi ! »
Combien s’en plaignent ? pas de statistique en vue, mais ils sont nombreux. C’est l’un des motifs de consultation très fréquents.
QUE SIGNIFIE SE FAIRE CONFIANCE ?
Interpréter ses propres sensations ou suivre son propre raisonnement sans avoir besoin de recourir systématiquement à l’assentiment d’un tiers. C’est aussi être capable de ne pas changer d’avis si ce tiers n’est pas d’accord avec soi, quand on sait qu’on a raison.
A la lumière de mon expérience avec les enfants, les adolescents et les adultes, je pense que nous avons tous eu des expériences très précoces de perceptions internes ou externes qui n’ont pas été codées, c’est a dire associées à des paroles. Elles sont restées en l’air, donnant une sensation de chaos ou de vide, à moins , fait plus grave, qu’elles n’aient été désavouées. C’est peut-être l’origine du manque de confiance ?
On connait de façon expérimentale, les conséquences de l’absence de langage. Frédéric II se posait déjà la question de savoir quelle langue parleraient des enfants qui n’auraient jamais entendu parler? Non seulement ils ne parlèrent pas, mais ils sont tous mots malgré des conditions matérielles correctes. Certaines situations moins cruelles n’aboutissent pas à la mort, comme celle des enfants sauvages, qui peuvent s’adapter à leur environnement pour survivre, mais ne parlent pas .
Maintenant, admettons qu’une communauté sociale existe, mais que pour diverses raisons, un enfant soit exclu de toute communication (les orphelinats de Roumanie ou les enfants du placard) ! Qu’observe t-on ? Des enfants stimulés uniquement par eux mêmes ou par la moindre modification de leur environnement (filet de lumière, vol d’une poussière, leurs propres mains, balancement de la tête, souvenirs hallucinatoires de l’époque antérieure , la période fœtale.
Depuis sa conception, le cerveau de l’enfant passe son temps, en recevant des stimulations de l’extérieur et de l’interieur, à faire du lien, des correspondances, des classifications, du sens. Le fait que son cerveau soit relié intimement avec son corps lui permet d’exprimer ses émotions par des manifestations biologiques (accélération du rythme cardiaque, rougeur, augmentation de la température …) . Cela dure toute la vie, mais une fois acquis, le langage prend le dessus (ou devrait prendre le dessus). Pour l’enfant, la parole d’un tiers qui nomme ce qui se passe, en jouant, en câlinant en expliquant – apparait comme un organisateur capable de mettre en place, de modifier, de déplacer les conditions de fonctionnement du corps biologique et donc du psychisme. Elle permet à l’enfant de donner un sens à ses perceptions dont l’exploration est en plein essor.
Le Chaos parait être une souffrance bien supérieure au fait de savoir qu’on à pas encore les moyens de comprendre. En plus clair , il est moins nocif de dire à un enfant « tu comprendras plus tard » que de ne rien dire du tout.
En tant qu’adulte, il est difficile d’imaginer ce sentiment d’incompréhension et d’étrangeté ressenti dans la toute petite enfance et oublié depuis. pourtant il existe des circonstance similaires, par exemple quand on entend un discours qui n’est pas lié à une personne qui parle (la voix off qui commente les images ou encore au cinéma quand un film est mal doublé, les mots ne correspondent pas à l’articulé de la bouche et cela provoque une sensation bizarre. Ce sentiment d’étrangeté disparait ès que quelqu’un prend le temps de donner une explication.
Chez l’enfant, l’adolescent et même certains adultes ayant des sentions et des perceptions désagréables et incompréhensibles, la parole vraie émise par une vraie personne code, donne un sens, relie, met de l’ordre, remplit et apaise.
Il est surprenant que le plaisir d’organiser ses sensations et de leur donner un sens, prime sur l’horreur éventuelle des choses que l’on aurait à dire pour expliquer le malaise.
La non concordance entre le langage et la perception est probablement une des situations les plus angoissantes qui puisse arriver à un être humain, surtout avant la maitrise du langage. Lorsque rien n’est dit, l’enfant ressent le chaos, le vide, mais lorsqu’on dit une parole fausse, il s’organise autour de cette parole désavouant ses perceptions qui, elles sont justes. Un enfant jeune, n’a pas la possibilité de mettre en doute la parole de l’adulte. C’est lui qu’il va mettre en cause, et toujours à ses dépens.
Certain, plus sensible, en gardent une fragilité qui se traduit par ce fameux manque de confiance. On ne peut pas se faire confiance si, dans l’enfance, personne ne vous a jamais confirmé ou aidé à comprendre que ce que vous ressentiez était la conséquence de telle ou telle chose. Il en résulte une impossibilité partielle ou totale à faire du sens, ou plutôt une crainte, voire une phobie à lier ses perceptions tout seul. Celui qui manque de confiance continue d’attendre qu’un adulte mette des mots justes sur ce qu’il ressent ou perçoit.
Avoir confiance en soi, implique de pouvoir oser se tromper sans être brisé, de vivre l’erreur comme une expérience, une ouverture permettant de se faire à nouveau confiance en réorganisant différemment les choses.
Il y a des découvreurs qui sont des fondateurs au sens , ou après leurs découverte, la perception du monde ne peut plus être comme avant ( comme Copernic, Pasteur, Jung). Ce sont tous des personnalités qui ont suffisamment confiance dans leur pensée, soutenue par leur travail expérimentale ou conceptuel, pour imposer sans tyrannie une organisation nouvelle de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit. ils sont des capacités supérieures à faire du sens avec des éléments qui, pour d’autres, ne sont pas perçus ou restent non liés.
L’être humain ne peut faire du sens tout seul. Il s’agit toujours de faire du sens pour ou avec un autre. Même les plus grands découvreurs ont besoin, pour transmettre leur découvertes, qu’au moins un parmi leurs référents ou pairs adhère à leur pensée.
Il faut aussi avoir du bon sens : de ceux qui dépassent les bornes du sens, on dit qu’ils délirent. De ceux qui ne donnent pas assez de sens ou pas le sens qui convient, on dit – parfois trop hâtivement – qu’il sont bêtes.